Le système urinaire (cours 3)


Dans cette leçon­ci nous décrirons les autres segments du néphron, tous tubulaires. Chacun d'eux possède des caractères histologiques étroitement liés à sa physiologie. C'est pourquoi, en analysant leur structure, nous évoquerons systématiquement leur fonction.

Reprenons le schéma général du néphron: au glomérule fait suite la partie contournée du tube proximal puis sa partie droite (en vert), le segment grêle (en gris), la partie droite du tube distal et sa partie contournée (en brun), s'abouchant à un tube collecteur (en jaune) qui draine l'urine de plusieurs néphrons vers l'orifice papillaire. Rappelons que la partie droite du tube proximal, le segment grêle et la partie droite du tube distal forment ensemble l'anse de Henlé.

Dans une coupe de rein examinée à faible grossissement, les différents segments tubulaires peuvent déjà être distingués les uns des autres parce qu'ils ont une coloration, une taille, une localisation et une morphologie différentes. Ainsi, dans le cortex, les tubes très colorés et relativement larges sont des tubes proximaux. Dans la médullaire, les tubes les plus larges sont des tubes collecteurs.

5.2. Tubes du néphron

5.2.1. Tube proximal

Le calibre du tube proximal, d'environ 60 micromètres, est plus important que celui des autres segments tubulaires corticaux. Les cellules sont pyramidales. Leur pôle apical est muni d'une bordure en brosse qui comble partiellement la lumière. Le cytoplasme est éosinophile parce qu'il est particulièrement riche en mitochondries et relativement pauvre en ribosomes. Le noyau rond est central.

La bordure en brosse du pôle apical est composée de microvillosités; entre elles s'ouvrent des invaginations qui s'enfoncent dans le cytoplasme et sont entourées de vésicules et de vacuoles. L'ensemble représente une très grande surface membranaire en rapport avec la fonction d'absorption. La bordure en brosse se trouve aussi bien dans la partie contournée que dans la partie droite du tube proximal. Elle n'existe pas dans les segments suivants. Comme dans d'autres épithéliums de revêtement, les membranes latérales, non visibles dans cette micrographie, sont interdigitées les unes dans les autres et possèdent près de la lumière tubulaire des systèmes de jonctions serrées qui empêchent le passage de l'eau et des solutés.

Le pôle basal est strié par de profondes invaginations membranaires, perpendiculaires à la membrane basale, visible sous la forme d'un liseré gris. Dans le cytoplasme de ce pôle, les mitochondries sont longues et nombreuses. Elles forment des files plus ou moins parallèles, enchâssées entre les invaginations de la membrane plasmique. L'importance des mitochondries démontre que les cellules des tubes proximaux produisent et consomment de grandes quantités d'énergie.

Le tube proximal est essentiel car c'est lui qui assure la partie la plus importante de la réabsorption tubulaire. Il est aussi sécréteur.

La réabsorption du sodium y est prépondérante: 70% du sodium de l'urine primitive sont récupérés au niveau du tube proximal. L'eau suit en quantité proportionnelle et la concentration en sodium dans la lumière du tube est donc constante. Le sodium diffuse passivement à travers la membrane apicale, en fonction de la différence de sa concentration dans le tube et dans la cellule. Cette différence est maintenue grâce à une extraction active du sodium de la cellule par des pompes ATPase­dépendantes, situées dans les membranes baso­latérales. Ce transport actif qui n'est jamais saturé consomme 80% de l'énergie produite dans le rein. A partir de l'interstitium, le sodium et l'eau diffusent dans les capillaires.

Les autres cations, tels le potassium, le calcium et le magnésium, sont aussi réabsorbés en majeure partie au niveau proximal; comme celle du sodium, leur réabsorption est iso­osmotique, c'est à dire qu'elle s'accompagne d'une quantité d'eau équivalente.

Normalement les acides aminés et le glucose sont totalement réabsorbés. Cependant, si leur concentration sanguine dépasse un certain seuil, ils sont éliminés dans l'urine en quantités proportionnelles à la surcharge sanguine.

L'urée, l'acide urique et les acides organiques, comme les acides a­céto­glutarique, acéto­acétique et b­hydroxybutyrique sont, eux aussi, totalement récupérés si leur concentration dans l'urine primitive ne dépasse pas un certain seuil.

Les petites protéines qui parviennent à franchir le filtre glomérulaire, telles l'insuline et de très petites quantités d'albumine, sont endocytées puis hydrolysées par le système lysosomial des cellules du tube proximal. Le rein est ainsi un lieu important de dégradation des protéines plasmatiques dont le poids moléculaire ne dépasse pas 70.000.

Les phosphates et le bicarbonate sont également réabsorbés au niveau du tube proximal. La balance entre leur réabsorption et leur élimination possible en cas d'excès intervient dans le maintien de l'équilibre acide­base.

Les bicarbonates sont d'abord transformés en CO2 et en eau par l'anhydrase carbonique des microvillosités. L'eau et le CO2 diffusent dans la cellule et reforment du bicarbonate sous l'effet d'une anhydrase carbonique cytoplasmique. Ce bicarbonate est dissocié; l'ion HCO3­ diffuse dans le sang; l'ion H+ diffuse dans la lumière du tube.

Le tube proximal est aussi sécréteur. Comme nous venons de le voir, il élimine des protons qui se lient aux ions bicarbonates. Il sécrète de faibles quantités d'urée, seul produit à y être à la fois excrété et réabsorbé. Enfin, il élimine sélectivement des produits exogènes, tels que certains médicaments.

5.2.2. Segment grêle de l'anse de Henlé

Le deuxième segment des tubes rénaux est le segment grêle qui constitue la partie descendante de l'anse de Henlé et, dans les néphrons les plus longs, une portion de sa branche ascendante près du sommet de l'anse.

Dans une coupe histologique, obtenue après enrobage à la paraffine et colorée selon les méthodes habituelles, l'identification des segments grêles est aisée lorsqu'il est possible, comme ici, d'observer leur origine à partir du tube proximal. La transition épithéliale est brusque; l'épithélium à bordure en brosse de l'un se transforme en épithélium très aplati de l'autre.

Lorsque cette transition ne s'observe pas, le segment grêle est plus difficile à reconnaître. Son calibre est très étroit et sa lumière est ténue. Son épithélium, désigné ici par une flèche, est aplati, mais le cytoplasme reste visible et les noyaux ne font pas saillie dans la lumière, contrairement à ce que l'on observe dans l'endothélium du capillaire, désigné par une tête de flèche. Il n'y a pas de différence morphologique entre la partie descendante et la partie ascendante du segment grêle. Toutes deux sont situées dans la médullaire.

Le segment grêle du néphron est très perméable à l'eau et aux électrolytes mais pas du tout à l'urée. La diffusion passive de l'eau et du sodium à travers ce segment intervient dans l'établissement du gradient d'osmolarité cortico­papillaire suivant un mécanisme qui sera expliqué plus loin.

5.2.3. Tube distal

Le troisième segment tubulaire est le tube distal. Il comprend trois parties: la partie droite qui entre dans la constitution de la branche ascendante de l'anse de Henlé et est située d'abord dans la médullaire puis dans le cortex, la partie contournée située dans le cortex et la macula densa qui est à la jonction des deux précédentes.

Dans cette coupe histologique colorée selon une technique trichromique classique, les tubes distaux ont à peu près le même diamètre que les tubes proximaux. Ils sont plus clairs et leur paroi est composée de cellules cubiques dont le pôle apical est dépourvu de bordure en brosse. Comparée à celle des tubes proximaux, leur lumière est plus large.

Le pôle apical des cellules du tube distal est dépourvu de microvillosités. Il existe cependant de courtes expansions cytoplasmiques dont le nombre est variable et qui donnent à ce pôle un aspect irrégulier. Le pôle basal ressemble à celui des cellules du tube proximal. Il est strié perpendiculairement par de longues mitochondries enserrées entre des invaginations de la membrane plasmique. Ici encore l'importance des mitochondries démontre que les cellules du tube distal produisent et consomment de grandes quantités d'énergie.

La partie droite du tube distal a une propriété essentielle : elle extrait de façon active le sodium de la lumière tubulaire vers l'interstitium adjacent. Sa paroi est par contre imperméable à l'eau comme à l'urée. Le transport actif du sodium provoque donc une augmentation de l'osmolarité de l'interstitium qui n'est pas compensée à ce niveau par un flux d'eau. Ce transport actif est le moteur qui établit le gradient d'osmolarité cortico­papillaire, comme nous le verrons ultérieurement.

Le rôle principal de la portion contournée du tube distal est la production d'ammoniaque et de protons. Elle réabsorbe en faible quantité du sodium, du calcium et des phosphates. Elle élimine du potassium; cette élimination est passive, consécutive et proportionnelle à l'électronégativité du contenu tubulaire, qui dépend de sa concentration en ions Cl­. L'excrétion urinaire de potassium est donc directement proportionnelle à la réabsorption distale de sodium.

La macula densa est la portion épithéliale du tube distal, appliquée contre le glomérule rénal entre les artérioles afférente et efférente. Elle est composée de cellules plus hautes et plus étroites que les autres cellules du tube. Leurs noyaux sont tous situés à la même hauteur. La macula densa est séparée des cellules du coussinet polaire par une membrane basale très mince et discontinue. La macula densa et le coussinet polaire appartiennent à l'appareil juxta­glomérulaire.

Les chémorécepteurs de la macula densa réagissent à l'hypertonicité osmotique de l'urine et les barorécepteurs de l'artériole afférente réagissent à l'hypotension sanguine. A la suite de cette stimulation, le coussinet polaire sécrète une enzyme, la rénine, qui scinde l'angiotensinogène, protéine plasmatique, en angiotensine 1 qui à son tour est modifiée par une enzyme plasmatique en angiotensine 2. Celle­ci a une action vasoconstrictrice extrêmement puissante et stimule la sécrétion d'aldostérone cortico­surrénalienne, activant ainsi la réabsorption sodée dans le tube distal. Elle stimule aussi le centre hypothalamique de la soif. Par ses différents effets elle accroît la récupération d'eau et augmente ainsi la volémie.

5.3. Tube collecteur

Le tube collecteur dérive du bourgeon urétéral tandis que les néphrons proviennent du métanéphros. Il draine plusieurs néphrons vers l'extrémité papillaire où il est appelé tube de Bellini. Près de son origine, la paroi du tube collecteur est constituée de cellules cubiques claires qui délimitent une lumière assez importante.

Plus on se rapproche de la médullaire, plus ces cellules deviennent cylindriques et de taille irrégulière. Elles ne sont pas striées et sont dépourvues de microvillosités.

6. Histophysiologie

Le tube collecteur joue un rôle important dans l'économie d'eau et dans la concentration finale de l'urine, éventuellement au­delà de l'osmolarité plasmatique qui est d'environ 300 mosm. Il doit cette fonction à son trajet particulier qui lui fait traverser un milieu hypertonique. Né dans le cortex profond de la confluence de plusieurs tubes contournés distaux, il rejoint le sommet d'une papille en traversant la médullaire ou règne une pression osmotique supérieure à celle du plasma et de plus en plus élevée au fur et à mesure que l'on se rapproche du sommet de la papille. En l'absence d'hormone antidiurétique, situation figurée dans la partie gauche du schéma, le tube collecteur est imperméable à l'eau. L'urine, devenue hypotonique depuis la traversée de l'anse de Henlé, le parcourt pratiquement sans modification jusqu'à son excrétion dans le calice. L'émission d'une urine hypotonique a lieu chaque fois que l'organisme dispose d'eau en excès. En cas de pénurie d'eau, il y a sécrétion d'hormone antidiurétique par la neurohypophyse qui réagit à la diminution globale du volume sanguin et à l'augmentation de la pression osmotique du milieu intérieur. L'hormone antidiurétique rend la paroi du tube collecteur perméable à l'eau, situation décrite dans la moitié droite du schéma. A cause de la grande différence de pression osmotique de part et d'autre de la paroi tubulaire, l'eau diffuse du tube vers le milieu interstitiel de la médullaire et l'urine se concentre.

Quel est le mécanisme qui crée et entretient le gradient osmotique dans la médullaire rénale? Il s'agit d'un système de concentration par contre­courant. Un tel système comprend un tube coudé en épingle à cheveu dans lequel circule une solution et au niveau duquel il existe un transfert actif de soluté de la branche ascendante vers la branche descendante. De cette façon, un effet de concentration relativement faible mais répété tout au long du tube permet la création d'un milieu très concentré au sommet de l'anse. Dans la médullaire rénale un tel système est constitué par l'anse de Henlé qui fonctionne de la manière suivante.

Supposons d'abord que la pression osmotique soit de 30 mosm dans tout le système et que le liquide soit immobile. Cette situation de départ théorique est représentée dans la figure 1. La branche descendante de l'anse est librement perméable à l'eau et aux électrolytes, si bien que son contenu sera constamment en équilibre osmotique avec le milieu péritubulaire. La paroi de la branche ascendante est imperméable à l'eau mais elle possède des pompes à sodium représentées par des cercles.

Lorsque ces pompes démarrent (figure 2), elles créent un gradient osmotique de 200 mosm entre le contenu de la branche ascendante et le milieu péritubulaire. Comme la branche descendante est librement perméable, la pression osmotique de son contenu et celle du milieu péritubulaire s'équilibrent immédiatement.

Si maintenant le liquide se déplace de la branche descendante vers la branche ascendante, les pompes étant supposées à l'arrêt (figure 3), la différence d'osmolarité entre la branche ascendante et le milieu péritubulaire diminue au sommet de l'anse, car de l'urine concentrée à 400 mosm entre dans la branche ascendante.

Dès qu'elles démarrent (figure 4), les pompes à sodium rétablissent le gradient de 200 mosm entre le contenu de la branche ascendante et le milieu péritubulaire, toujours en équilibre avec la branche descendante. L'effet global est une augmentation de la pression osmotique au sommet de la boucle. En même temps l'urine qui quitte la branche ascendante est devenue hypotonique.

Ce cycle se répète et crée un gradient osmotique de plus en plus élevé (figure 5). Dans la réalité, l'activité des pompes et le déplacement du liquide sont évidemment simultanés et continus. Le gradient final obtenu avec des pompes d'une "puissance" de 200 mosm et pour un flux de liquide constant dépend de la longueur de l'anse. Chez l'homme, la pression osmotique au sommet de la papille est voisine de 1.200 mosm, soit quatre fois la valeur plasmatique.

Pour que le système soit efficace, il faut éviter l'élimination trop rapide des solutés au niveau de la papille. Ceci se produirait immanquablement si les vaisseaux irriguant la papille la traversaient seulement dans un sens. En effet, comme les échanges d'eau et d'électrolytes se font librement à travers la paroi vasculaire, les ions diffuseraient du milieu hyperconcentré de la papille vers le plasma sanguin, tandis que de l'eau sortirait du lit vasculaire et diluerait le liquide interstitiel. C'est pourquoi les vaisseaux de la médullaire rénale, les "vasa recta", ont la même disposition que les anses de Henlé. Au niveau de la branche vasculaire descendante, le sang se concentre au fur et à mesure qu'il s'écoule vers le sommet de la papille à cause de la sortie d'eau et de l'entrée des ions. Dans la branche ascendante, les mouvements inverses ont lieu et le sang quittant la médullaire n'est que légèrement hypertonique. Les anses vasculaires forment donc un système d'échange passif par contre­courant qui minimise la perte des solutés au niveau de l'espace interstitiel de la papille. Le léger excès de pression osmotique du sang qui quitte la médullaire permet le pompage de l'eau qui est récupérée par le tube collecteur lorsque celui­ci est sous l'influence de l'hormone antidiurétique.

Rappelons que les "vasa recta" sont des capillaires issus des artérioles efférentes. Ils plongent dans la médullaire où ils se groupent en faisceaux autour des branches des anses de Henlé. Ces longs faisceaux se repèrent aisément dans une coupe histologique observée à faible grossissement. Cette image montre le trajet apparemment rectiligne auquel ces vaisseaux doivent leur nom. Nous venons de voir qu'en réalité il s'agit de boucles vasculaires très allongées.

Nous avons ainsi terminé la description des différents segments du néphron et de leur fonction individuelle. En résumant brièvement ces différentes fonctions, nous pourrons expliquer comment, à partir du plasma, on peut obtenir l'urine définitive.

Le glomérule rénal filtre le plasma. L'ensemble des glomérules rénaux produisent 125 ml d'urine primitive par minute, soit, dans les conditions normales, 180 litres par jour. Cette urine primitive est collectée dans les espaces urinaires de Bowman. La plus grande partie, environ 70%, est réabsorbée dans le cortex au niveau du tube proximal qui assure aussi la récupération du glucose, des acides aminés et d'autres substances ne devant pas être éliminées.

A la sortie du tube proximal le volume urinaire est encore de 54 litres par jour, dont la majeure partie est réabsorbée au niveau du tube distal, si bien qu'à la sortie de ce tube le volume urinaire ne représente plus que 10% du volume de l'urine primitive, soit environ 18 litres. Ceux­ci seront réduits à environ 1,5 litre dans le tube collecteur dans la mesure où celui­ci est influencé par l'hormone antidiurétique. Cette hormone rend sa paroi perméable à l'eau et celle­ci est dès lors extraite du tube parce que celui­ci traverse la médullaire qui est hypertonique. L'hypertonicité de la médullaire est créée et entretenue grâce à un mécanisme de concentration par contre­courant au niveau des anses de Henlé.

La prochaine leçon sera consacrée aux voies urinaires